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Risques climatiques/secteur bancaire : marche forcée ou opportunité pour le Maroc ?

10 mai 2024 Eco Actu

Désormais défis majeurs, les changements climatiques font peser des risques climatiques de plus en plus importants et de plus en plus récurrents sur les populations et les économies. 

Le Maroc, l’un des pays les plus vulnérables et exposés à ces risques a pris les devants multipliant les stratégies et actions pour en anticiper et atténuer l’impact.

La banque centrale n’est pas en reste hissant le verdissement du secteur financier, particulièrement bancaire au rang de priorité. En plus d’avoir intégré le Réseau des Banques Centrales et des Superviseurs pour le verdissement du secteur financier (NGFS) dont elle est membre Fondateur, Bank Al-Maghrib a édicté en 2021  une directive relative au dispositif de gestion des risques financiers liés au changement climatique. 

Un engagement qui se poursuit avec la publication du rapport de Bank Al-Maghrib et de la Banque Mondiale sur l’évaluation des risques climatiques dans le secteur bancaire marocain qui fait l’objet d’un atelier de dissémination, ce 9 mai à Casablanca. Et ce en présence des représentants de BAM, de la Banque mondiale et des secteurs financier et bancaire.

L’occasion pour Abderrahim Bouazza, Directeur Général de BAM, de rappeler que la transition vers une économie verte constitue l’un des paradigmes de transformation de notre économie. 

Face à ces défis climatiques, le Maroc l’un des pays les plus exposés, a mis en place des stratégies qui visent à porter la part des énergies vertes à 52 % du mix énergétique en 2030 et à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.

Expliquant que pour BAM, cette étude est une 2e étape majeure dans le cadre de la gestion des risques financiers liés au changement climatique près l’émission de la directive de 2021. 

L’objectif étant d’explorer les scénarios, leur impact sur la profitabilité des banques et de renforcer la taxonomie sur le sujet.

Pour sa part, Jesko Hentschel, le directeur pays de la Banque mondiale pour le Maghreb et Malte explique qu’il s’agit là d’une étude innovante avec de nouveaux modèles sur la macroéconomie et la relation avec le secteur financier et les actifs des banques qui peuvent être impactés par le changement climatique. 

Elle mesure également l’opportunité  de transition vers une économie verte. « La bonne nouvelle c’est que ce sont des risques gérables », soutient-il.

Les principaux résultats de l’étude ont été détaillés à l’assistance par Reda Aboutajdine, économiste du secteur financier à la Banque mondiale et Emma Dalhuijsen, spécialiste principale du secteur financier, notamment la modélisation des catastrophes (aléa, exposition, vulnérabilité…) et la modélisation des impacts macroéconomiques et financiers.

Le Maroc est vulnérable à divers risques physiques climatiques et il faut des actions pour mitiger ces effets qui sont en augmentation en plus du risque de transition avec impact sur les citoyens, l’économie, les infrastructures mais aussi sur la stabilité du secteur financier…

« L’objectif principal est de comprendre le risque physique et de transition sur le secteur bancaire et identifier les actions politique à mener dans le futur… » soutient-on.

La modélisation a cette utilité de capter les subtilité du pays (impact sécheresse et inondation) et prendre les décisions politiques adaptées…

La modélisation économique montre que les inondations extrêmes peuvent engendrer une perte de 2% de PIB tandis que celle due aux sécheresses serait de 3,5%. Aussi deux scénarios de l’effet d’une taxe carbone sur l’exposition des banques aux secteurs sensibles à transition.

Malgré l’absence de données granulaires, l’analyse par secteur permet de mesurer l’impact sur le risque de crédit pour les banques surtout pour celles spécialisées avec un portefeuille sectoriel.

Les deux intervenants insistent aussi les effets cumulatifs ou de composition avec les effets climatiques notamment d’autres risques comme pandémie ou un choc des prix.

Bien que l’analyse doit être étoffée avec des données et des modèles plus élaborés, elle identifie des recommandations à court et à moyen termes notamment de poursuivre le renforcement des capacités techniques, de compléter les directives prudentielles par la Banque centrale ou encore sur une échelle plus grande de combler les déficits de données, d’améliorer la transparence autour de l’orientation de la politique climatique et de renforcer le cadre du financement des risques.

En somme, ces orientations visent à  réduire en amont et faciliter la gestion du risque en aval.

Nouveau tour de vis ? Non

Cet atelier a été marqué par un panel important visant à expliciter comment cette gestion de risque est inhérente au métier de banquier central et de banquier avec des outils existants mais aussi une posture pour appréhender d’autres risques.

«L’étude est fondamentale pour compléter le manque d’information sur les outils de gestion des risques climatiques et le risque transition », estime Nabil Badr, directeur adjoint à la Direction de la Supervision Bancaire de Bank Al-Maghrib.

Une étude qui balise le terrain pour dévoiler les prochaines étapes dans la démarche de BAM. Notamment le renforcement des capacités à travers un transfert de savoir-faire et d’élaboration des modèles. 

D’ailleurs dans le cadre d’élaboration de ce rapport,  elle a disposé des formations  auprès des banques qui seront suivies dans les prochaines semaines de séminaires de formation.

Sans oublier l’intégration des nouveaux éléments sur les risques financiers dans le dispositif actuel qui devra certainement se traduire par une mise à jour de la feuille de route du secteur financier pour la contribution au développement durable et à la lutte contre le changement climatique.

D’ailleurs, cet atelier permet de se rapprocher de comment une banque privée appréhende les risques financiers liés aux changements climatiques dans un contexte général où le Maroc s’engage sur des objectifs de durabilité ambitieux à horizon 2050.

Il s’agit de répondre à deux enjeux majeurs, notamment préserver le bilan de la banque par rapport au risque qu’il soit physique ou de transition et accompagner cette dynamique et financer cette transition, explique Choukri Oimdina, directeur général délégué du pôle gestion globale des risques groupe à Attijariwafa bank.

« Nous avons lancé depuis une année les travaux pour une feuille de route stratégique pour être leader dans le financement de transition que ce soit dans le Maroc ou dans les pays de présence. 

Ça va de la gouvernance au dispositif de l’approche risque au système d’information en passant par la Data et même à l’offre clientèle qui va de la sensibilisation à l’accompagnement. 

Sur le volet risque, AWB est accompagnée par la SFI pour définir cette feuille de route des risques pour nous aligner aux exigences réglementaires et beaucoup d’étapes ont été franchies, notamment le portfolio sain à l’échelle du portefeuille crédit de la banque soit 100 % de nos encours », explique-t-il.

Il souligne toutefois la persistance de défis qui persistent encore pour le secteur bancaire, en citant trois principaux, notamment la Data et l’insuffisance des informations granulaires sur les clients pour la surveillance et la gestion des risques ; l’importance du changement au niveau des systèmes d’information et de Mindset et le troisiéme se pose plus pour les banques à importance systémique à savoir l’exposition à tous types d’industries impliquant un renforcement de la sensibilisation.

En effet, à part les grandes sociétés qui ont entamé des stratégies de durabilité et de réduction d’exposition aux risques, à les PME, elles, sont encore loin de cette problématique.

A noter que, dans le cadre de l’appui des banques à la mise en œuvre de la directive relative au dispositif de gestion des risques financiers liés au changement climatique et à l’environnement, et afin de renforcer les capacités et le déploiement de dispositifs de gouvernance et de gestion des risques prenant en compte les dimensions du climat et de l’environnement, Bank Al-Maghrib poursuivra le suivi des banques et des plans correctifs notamment les portefeuilles vulnérables dans ce sens identifiés au niveau de chaque banque avec impact à gérer et à dresser avec un suivi individualisé.

Autrement dit, il ne faut pas s’attendre à un tour de vis des règles prudentielles pouvant se traduire par de nouvelles exigences pour le financement de l’économie, dans l’élan d’une marche forcée vers une économie verte.

Loin s’en faut. Abderrahim Bouazza affirme que la présentation d’aujourd’hui n’impacte en rien la politique de crédit au Maroc. « Nous sommes en train d’explorer les sources d’exposition aux risques climatiques pour mieux en comprendre les enjeux posés. 

La banque centrale reste inscrite dans une démarche globale et des orientations stratégiques à l’échelle du pays », tient-il à préciser.

Globalement et de l’avis général des intervenants, cette transition vers une économie verte et l’engagement sérieux du Maroc constitue plus une opportunité qu’une marche forcée pour le pays qui se positionne d’emblée sur les grandes thématiques en lien avec les énergies renouvelables à titre d’exemple. 

Mais aussi, maintenir sa compétitivité en étant à jour des normes internationales qui ont tendance à se durcir en matière environnementale. Autrement dit, premier arrivé, premier servi, ce qui encourage plus le Maroc à continuer sur cette voie.

En gardant toutefois à l’esprit une idée exprimée par Jean Pesme, le directeur mondial Finance de la Banque mondiale, prônant une approche proportionnelle et séquentielle pour ne pas provoquer un effet d’exclusion notamment des PME qui ne sont pas au même niveau d’information sur leur exposition à ce type de risques.

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